Pourquoi je ne serai pas présente au 3ème Festival Mondial des Arts Nègres (FESMAN) à Dakar qui aura lieu du 10 au 31 décembre 2010.
Au préalable, je tiens à m’excuser auprès de certains lecteurs pour la difficulté qu’ils auront à comprendre toute la signification de ma lettre. En effet, il est souvent difficile de voir, lorsque l’on ne fréquente pas beaucoup le milieu des arts visuels (que ce soit en Europe ou en Afrique) que c’est un monde où se déroulent des affrontements et des attitudes exclusives souvent fort intenses, même lorsque l’on acquiert un certain succès.
En tant que jeune artiste africaine, j’ai mis un certain temps, depuis mon arrivée en Europe en 2004, à cerner tous ces enjeux où ce sont très souvent d’autres éléments qui dictent les choix esthétiques, en l’occurrence l’argent, les modes de l’art officiel et les réseaux des décideurs artistiques et financiers.
C’est avec regret que je viens d’apprendre que je ne pourrai participer à ce très important événement culturel international du monde noir.
J’avais pourtant posé ma candidature individuelle dès le mois de juillet 2007 lorsque l’appel aux candidatures avait été lancé par les organisateurs. J’avais même pris la précaution de l’envoyer à plusieurs adresses indiquées sur le site Web du festival et je possède encore tout le dossier : fiche technique et tous autres documents).
Mon manager avait également adressé de nombreuses lettres à mon Ministre de la Culture et aux hauts fonctionnaires du Ministère de la Culture de mon pays pour poser ma candidature au sein de la délégation du Congo Brazzaville.
Au mois d’août de cette année à Brazzaville, on m’avait conseillé de reprendre contact avec les organisateurs, ce que je m’étais empressée de faire. Et le 26 octobre, j’ai reçu la lettre suivante de Mme Florence Alexis, Commissaire de l’exposition Internationale d’art contemporain :
«Bonjour. Désolée pour les délais mis à vous répondre, merci de votre message et de votre patience. Nous apprécions votre intérêt pour la manifestation et vous informons que la sélection des artistes plasticiens et des oeuvres est désormais bouclée par le curateur, à cette date, nous n’avons hélas pas été saisis de votre candidature et croyez bien que nous le regrettons sincèrement. Nous vous remercions sincèrement de votre message, et regrettons de n’être pas en mesure de vous accueillir dans cette sélection. Bien cordialement.»
Face à cette réponse, je me pose deux questions :
1) Soit les organisateurs ont égaré les dossiers. Ce qui démontre une très mauvaise préparation au niveau de l’organisation de ce festival et un certain mépris pour les artistes qui prennent le temps de réaliser avec une grande attention le dossier qui leur est demandé.
2) Soit c’est une réponse de circonstance pour masquer les choix qui avaient déjà été décidés à l’avance par le curateur et /ou son jury et de ne pas être obligé de me répondre officiellement au sujet de ma non-sélection.
On pourra me rétorquer que je suis une artiste devenue aigrie ou quelque peu paranoïaque ! Il n’en est rien, je suis seulement déçue par ce phénomène répétitif qui existe à mon égard et que j’ai déjà constaté depuis de nombreuses années. En voici quelques exemples :
- J’ai posé trois fois ma candidature pour la Biennale de Dakar (2006, 2008 et 2010). Celle-ci n’a pas été retenue et je n’ai jamais reçu de réponse pour m’en informer.
- J’avais posé ma candidature pour le 2ème Festival Culturel Panafricain d’Alger (2009). Pas retenue et pas de réponse.
Par ailleurs, voici d’autres exemples d’exclusions ou de silence dont je m’interroge sur la signification exacte :
- Interdiction d’exposer au Centre Culturel Français de Pointe-Noire (avec une réponse du directeur pour expliquer qu’il n’est pas possible d’exposer une des plus mauvaises artistes du Congo !).
- Pas invité pour l’exposition «50 ans de peinture congolaise» au Centre Culturel Français de Brazzaville dans le cadre du cinquantième anniversaire de l’Indépendance en août 2010.
- Pas citée dans le Livre d’Or du Cinquantenaire de l’Indépendance du Congo au chapitre des arts plastiques.
Lors de mon dernier voyage à Brazzaville en août de cette année, j’ai soulevé ces problèmes devant un assez grand nombre de personnes des milieux culturels.
Voici en résumé ce que j’ai pu m’entendre dire :
- Tu es un peu considérée comme un «électron libre» qui n’est redevable à personne de son succès à l’étranger et cela dérange certaines personnes.
- Tu es une des rares artistes plasticiennes congolaises à s’exprimer dans des interviews sur d’autres domaines que l’art : société, histoire des traditions, rôle de la femme, rôle de l’art pour le développement d’un pays, etc
Certains pourraient donc avoir l’impression que tu te positionnes sur un terrain qui n’est pas le tien, et cela peut déranger. (Cela m’a vraiment étonnée parce que je n’ai absolument aucune intention de me lancer sur le terrain politique).
- N’oublie pas que tu as quitté le Congo depuis un certain temps pour résider en Europe et qu’il existe des jalousies quand on parle plus de toi dans la presse d’ici que des personnes restées au pays. Tu dois t’attendre à avoir des revers car le succès amène beaucoup de fans, mais aussi des jaloux et des mauvais coups.
- Tu dois savoir que les grands bailleurs de fonds pour des événements importants en Afrique (pour la francophonie) viennent de l’Occident, surtout français (aussi belges, canadiens et suisses) et qu’ils ont tendance à imposer, chez nous, leurs choix esthétiques dictés par leurs réseaux et leurs modes artistiques.
- Tu le sais déjà sûrement, mais ta position d’affirmer ton africanité et ton travail de mémoire lié à nos traditions, ainsi que tes critiques sur une perte de sens dans l’art de notre époque (les impostures et les avatars), dérange un certain milieu artistique occidental très élitiste et sectaire, ainsi que certains décideurs africains qui ont les mains liées par ceux-ci pour des raisons qui ne sont pas difficiles à expliquer : l’argent et la reconnaissance.
- Tu es souvent considérée comme une artiste à contre-courant. Par conséquent, tu dois t’attendre normalement à être ouvertement combattue et exclue, à être mal-aimée, ou méprisée par la loi du silence.
Je n’ai évidemment pas la prétention de penser que je suis une artiste incontournable et qu’il faut que je sois présente partout. Il est normal qu’il y ait des sélections par rapport aux nombreux artistes candidats pour chaque événement. Je tiens simplement à préciser que depuis ma participation à la délégation congolaise lors de la 5ème édition des Jeux de la Francophonie à Niamey (Niger, 2005) je n’ai plus jamais été invitée à une manifestation internationale de prestige.
Je n’ai pas non plus l’espoir infantile de croire que tout le monde va aimer mes créations. J’estime simplement avoir aussi le droit d’exister et de confronter mon art à tous les autres courants artistiques. Sur le plan culturel, c’est la libre confrontation des diverses tendances qui est intéressante, non les attitudes exclusives.
Avant la fin de la guerre froide, dans les pays dictatoriaux, les oeuvres des artistes qui n’étaient pas dans le rang finissaient très souvent dans les caves. Aujourd’hui, dans la mondialisation occidentalisée, on a l’impression d’être absolument libre, mais les oeuvres des artistes ne suivant pas certains codes conceptuels ou «installationnistes» se retrouvent aussi souvent dans les caves !
Je sais de plus en plus que je vais devoir me battre et affronter de nouveaux défis en rentrant en résistance. Ce n’est pas toujours facile parce que cela peut parfois décourager, surtout que l’Afrique reste encore marginalisée dans la visibilité de ses créations artistiques sur le plan mondial (Combien d’oeuvres res d’art contemporaine africaine sont-elles présentées dans les musées en Occident ?).
Cependant, m’étant toujours sentie très déterminée, je vais donc continuer ce combat artistique dans le même sens, et surtout ne pas commencer à me taire en tant que femme, africaine, noire, et fière de l’être !
Bien à vous.
Rhode Bath-Schéba Makoumbou
Brussel, december 2010
*Willekeurig geselecteerd uit 147 schilderijen en 177 beeldhouwwerken.